On trouve
la première description de l’hémophilie, ou plutôt la notion «de sang que l’on
ne peut arrêter de couler», dans le Talmud Babylonien.
Cette narration
est faite à propos de la circoncision et remonte au Vème siècle av. J.C.
En effet,
on rapporte l’histoire de quatre sœurs :
-
la première fit circoncire son fils et il mourut,
-
la seconde et la troisième firent de même et leurs
enfants moururent,
-
alors la quatrième parla au rabbin Siméon Ben Gamaliel
qui lui dit :
«ne fais pas circoncire ton fils, car il y a des familles où
le sang reste fluide alors qu’il coagule chez les autres»
Pour que
ce rabbin ait cette « référence », il a fallu que l’observation en
ait été faite bien avant et qu’elle ait été rapportée parmi les savants de
l’époque.
Il s’agit
de la plus ancienne notion connue de la maladie hémorragique et, aussi, la plus
ancienne observation de la transmission familiale.
Il faudra
attendre 23 siècles pour qu’un médecin de Philadelphie, J.C. Otto, en fasse la
description clinique et en définisse le caractère héréditaire, lié au sexe.
Le terme
«hémophilie» daterait des années 1820 et serait attribué à plusieurs
«inventeurs»
Il faudra
attendre encore 130 ans pour que l’on identifie 2 types d’hémophilie. Cette
notion a été mise en évidence en observant que le sang de deux hémophiles de
familles différentes, échangé entre les deux patients, arrêtait l’hémorragie de
l’autre.
Durant
cette période, l’hémophile ne vivait que peu de temps !… son sort était
tracé, c’était le décès précoce ou l’invalidité certaine…l’histoire dit que
l’âge moyen du décès était de 18 ans… en fait, on peut penser que cet âge était
encore bien plus bas… en effet, il faut compter avec la méconnaissance de la
maladie, donc des causes précises de décès. Le manque évident de renseignements
ne permet pas d’obtenir de telles statistiques, forcément sur de petits
nombres…
L’hémophile
accédait difficilement à la scolarisation, il n’avait pas d’espoir
professionnel et dans l’hypothèse la plus favorable, les possibilités n’allaient
au-delà des métiers que l’on peut exercer assis : bijoutier-horloger,
cordonnier… employé aux écritures, comptable… insertion sociale difficile et peu de chances
de fonder un foyer…
Les
hémophiles qui parvenaient à 18 ou 20 ans, étaient lourdement handicapés par
les hémarthroses et par les hématomes musculaires profonds. Leur état
interdisait tout espoir de fonder une famille… cette notion est importante à
retenir car elle a longtemps occulté la réalité de la transmission et
permis de répandre dans la société la vision de l’hémophilie «transmise par la
femme», vision que la médecine a largement contribué à répandre, culpabilisant
la femme de façon dramatique (je reviendrai sur ce sujet dans un autre
chapitre – en l’an 2000 nous sortons à peine de cette notion et la littérature
en est encore pleine…)
Pendant
toute la période qui précède 1945, l’hémophilie est souvent entourée d’une
notion de «malédiction», de «tabou»… cette idée subsistera encore jusqu’à
récemment, selon les régions et le niveau culturel, selon l’évolution de notre
société. Nous verrons que cette «malédiction» ressurgira dans les années 82-85,
à propos du Sida. On conserve encore cette notion dans certaines familles,
malgré la connaissance des modes de transmission et les progrès thérapeutiques
qui ont atténué le côté «fatal» de ce drame et ses conséquences.
Enfin, l’hémophilie a également été citée comme maladie
des Rois. On sait qu’elle est présente dans quelques grandes familles, issues
de la Reine Victoria d’Angleterre. Par différentes alliances on la retrouve
dans la Russie des Tsars avec Alexis, dans la famille d’Espagne… et d’autres
encore.
Durant la période 45-70, l’évolution du traitement s’est
faite au fur et à mesure :
- de la
connaissance des différents composants du sang et de leur rôle respectif,
- de l’évolution technologique dans la
séparation des éléments du sang, pour un usage thérapeutique spécifique.
Au début des années 50, nous avons vu que l’on identifie
deux sortes d’hémophilie :
- hémophilie A,
pour un déficit en facteur VIII de la chaîne de la coagulation
- hémophilie B,
pour un déficit en facteur IX de cette même chaîne
Le défaut de ces deux facteurs de coagulation entraîne
les mêmes conséquences hémorragiques, pour un déficit sensiblement identique.
(taux de facteur de coagulation VIII ou IX, dans la
circulation sanguine).
On sait
que chacun des facteurs peut être plus ou moins déficitaire. Ce que l’on
appelle le «taux» de facteur, indiqué en pourcentage, entraîne des conséquences
hémorragiques inversement proportionnelles. Un taux de 0 à 2% amène des
hémorragies internes spontanées. Inversement, plus le pourcentage augmente,
moins l’hémophile est exposé, sauf en cas de traumatisme ou d’intervention
chirurgicale, même bénigne.
La
connaissance acquise dans ces années
La
connaissance du processus de la coagulation, jusqu’à l’hémostase complète, a
permis d’entrevoir la possibilité d’enrayer les hémorragies fatales des
hémophiles et d’envisager de ralentir les effets destructeurs des hémorragies
intra-articulaires. En même temps, le traitement a contribué à diminuer les
souffrances induites par les compressions nerveuses ou veineuses des
saignements, qu’ils soient dans une articulation ou dans un muscle profond.
Il faut
savoir que, jusqu’au milieu de cette période, il n’y avait pas d’Organisation
de Transfusion Sanguine. Légalement, cette organisation date de 1952 mais, dans
les faits, cette mise en place sera très progressive, selon les régions, les
possibilités… ou les volontés, cela sur plusieurs années.
Jusqu’à
cette organisation, des médecins-transfuseurs privés assurent les soins qui
nécessitent l’apport de sang – interventions chirurgicales ou soins aux hémophiles…
- allant de cliniques en hôpitaux, avec leur propre réseau de
« donneurs » (on ne séparait pas encore, ou peu, les différents
éléments du sang)
L’hémophile a recours à ces circuits privés… c’est ce que
nous allons voir dans les pages qui suivent…
Au début
de cette période, la seule possibilité d’enrayer un saignement était
l’injection de sang total, frais.
Cette injection de «bras à bras» est assortie de
contraintes médicales :
- Inutile de
souligner l’obligation de compatibilité groupe et rhésus, entre donneur et
receveur.
- Il ne pouvait,
non plus, être question d’injecter à un hémophile une grosse quantité de sang
frais, à fortiori chez l’enfant dont la quantité de sang circulant dans
l’organisme ne peut être augmentée sans risque.
La quantité courante injectée à l’enfant était de 250cc
et pour l’adulte de 4 à 500cc environ.
Comme il
ne pouvait s’agir de sang «conservé» (traité pour ne pas coaguler), devaient
donc être présents ensemble, le donneur, le médecin transfuseur et l’hémophile.
La transfusion se disait «de bras à bras». Il s’agissait d’un acte médical
important, codifié à l’époque comme une appendicectomie.
Chaque
ville importante possédait son «transfuseur», médecin spécialisé, souvent
directeur d’un laboratoire d’hématologie, possédant son propre réseau de
donneurs. Ce médecin assurait les actes à domicile, dans les cliniques et même
en milieu hospitalier.
Le donneur
recevait un « dédommagement » en fonction de la quantité de sang
transfusée, mais aussi tenant compte du volume nécessaire à la purge du
matériel de transfusion – pompe, seringue à double direction… Le «coût» pour le
receveur se situait autour de 10fr le centimètre cube. Il faut souligner que
l’hémophilie ne faisait pas encore partie des maladies remboursées à 100%. Une
partie des frais médicaux restaient donc à la charge de l’hémophile (prise en
charge à 100% seulement en 1974)
Ce
traitement transfusionnel n’était donc pas accessible à tous, et ne pouvait
être répété trop souvent… Il était également difficilement accessible en milieu
rural.
On voit tout de suite que l’apport de sang frais ne
pouvait être imaginé que pour les hémorragies externes importantes ou pour les
saignements mettant en jeu le pronostic vital. Cela excluait pratiquement la
transfusion pour les hémarthroses et les hémorragies profondes, dans les
muscles, hémorragies les plus fréquentes, les plus douloureuses, à cause des
compressions nerveuses ou veineuses qu’elles engendraient.
Nous
venons de voir qu’il ne pouvait être question de transfuser pour une
hémarthrose. L’hémorragie s’arrêtait lorsque la capacité intra-articulaire (la synoviale)
était à son extension maximum, le genou s’étant mis naturellement en position
antalgique, semi-fléchi.
Cette
situation durera une dizaine d’années, un peu plus selon les régions, jusqu’à
l’organisation d’une Transfusion Sanguine, sortie du domaine privé et basée sur
le bénévolat.
Nous
répétons ici que, jusqu’à cette organisation, le transfuseur, le donneur et
l’hémophile étaient réunis autour du lit… ou de la table… pour échanger d’un
bras à l’autre ce précieux liquide, le SANG, qui a permis à l’hémophile de
survivre à une époque où il était condamné d’avance.
Que le
donneur reçoive une rétribution pour le sang transmis ne nous choquait pas,
nous parents. Ces dons ont permis à nos propres enfants, l’un de vivre jusqu’en
1969, l’autre d’être encore parmi nous, d’avoir eu une vie professionnelle très
active et très diversifiée, d’avoir fondé une famille, d’avoir 3 enfants et
d’être grand-père d’une belle petite fille…
Nous voulons remercier ici les donneurs qui se
reconnaîtraient, ceux d’Angers et ceux de Rouen, particulièrement l’un d’eux qui est resté un
ami, nous devrions dire qui est de notre famille. Nous l'avons chaque jour au
téléphone et nous allons, de temps en temps, passer quelques instants avec lui.
Nous rassurons tout de suite les Donneurs Anonymes et
Bénévoles, ce que nous disons à propos des «donneurs rétribués»
n’enlève rien à la reconnaissance que nous leur devons également, c’était tout
simplement une autre époque, un combat pour la survie.
J’ajouterai que ces Donneurs Bénévoles ne sont pas
responsables si leur geste généreux a été mis à mal, dans les années 80, par
des «Barons» irresponsables… intouchables et «intouchés», dont nous
reparlerons...